S’il y a une femme en Afrique qui incarne l’intermédiation sportive, c’est bien Karabo Matang Tshabuse. En 2007, alors qu’elle a à peine 20 ans, la sud-africaine lance sa propre entreprise de management sportif, P Management, avec pour but de dénicher de jeunes footballeurs amateurs pour les préparer à une carrière professionnelle. Deux ans plus tard, elle se fait connaitre après avoir obtenu une licence d’agent FIFA, une première pour une femme non seulement en Afrique du Sud mais aussi sur l’ensemble du continent africain. Elle représente depuis lors des joueurs de football et des clubs. En tant qu’avocate agréée basée à Johannesburg, qui s’intéresse particulièrement au droit du sport, elle fait figure de véritable pionnière.
#Manyora | @QueenOfPitori talks to Africa’s first female FIFA-accredited Players’ Agent, Attorney and founder of @PManagementRSA, @KaraboMathang7 on #ConvoyWithYOU.
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Ses débuts dans le football
Karabo Mathang Tshabuseest née en 1988 à Orlando East, à Soweto. Lorsqu’elle était plus jeune, elle avait pour habitude de jouer au football dans les rues poussiéreuses de son quartier. A 5 ans, elle assiste à son premier match. Bien qu’elle ne soit pas très douée, elle recevait très souvent les acclamations enthousiastes de sa communauté, les acclamations d’un township réuni par le sport. Ce qu’elle ignorait, c’est que ces acclamations favoriserait son amour pour le football, non pas pour pratiquer ce sport, mais pour inciter les autres à le pratiquer. Soweto, l’un des townships les plus historiques d’Afrique du Sud, a produit des dirigeants politiques et des lauréats du prix Nobel, ainsi que certains des entrepreneurs et sportifs les plus prospères du pays. Parmi eux, le footballeur vedette Jomo Sono, qui habitait à trois patés de maisons de Mathang-Tshabuse.
En grandissant au milieu des sportifs et sous la coupe d’un père lui-même féru de football, elle n’a pas eu à chercher bien loin pour trouver des rôle models “J’étais une fille à papa et je voulais marquer des points avec lui. Il regardait le football et je voulais lui faire plaisir. Je criais ‘hors-jeu, hors-jeu’ pour montrer que je comprenais le jeu“, dit-elle lors d’une interview accordée à Forbes Africa en 2016.
Mathang-Tshabuse est une femme très ambitieuse et pugnace : elle a passé près d’une décennie à se battre avec les dirigeants de clubs, en vue d’obtenir les meilleurs contrats pour ses clients. À 21 ans, elle est devenue la première femme en Afrique du Sud à devenir agent de football accrédité par la SAFA (Fédération sud-africaine de football) et la FIFA. Toutefois, elle a indiqué que travailler dans le football n’était pas son objectif premier et qu’elle y est entrée un peu par hasard « Être agent n’a jamais été un de mes rêves. La vérité est que je suis tombé dedans ».Karabo a toujours été précoce. Elle n’avait que 13 ans lorsqu’elle a commencé à travailler, effectuant de petits boulots à la radio et dans le commerce de détail. Au lycée, elle décide d’arrêter de jouer au football. Elle a ensuite passé une licence en relations internationales et en études des médias à l’Université du Witwatersrand, filière qu’elle a choisie en raison de sa proximité avec la politique – son père Ruby Mathang étant membre de la commission du développement économique de la ville de Johannesburg. En 2014, elle commence une licence en droit dans la même université qu’elle obtiendra. Karabo est donc titulaire de deux diplômes, une licence (BA) avec spécialisation en études des médias et relations internationales et une licence en droit (LLB) (qu’elle a obtenue avec mention), tous deux obtenus à l’université de Witwatersrand.
A l’université, elle consacrait ses week-ends à regarder des matchs de football avec des amis, parmi lesquels son futur mari Josy et Nonhlanhla Nkosi, qui deviendra plus tard directeur du marketing pour les Kaizer Chiefs. Ces amis l’aideront en 2007 à démarrer P Management – P pour Player (Joueur en anglais), Professionnel ou pomotso, qui signifie confort, dit-elle. Pour les débuts de l’agence, ils ont commencé par proposer des stages d’entraînement aux joueurs de football amateurs de leur quartier, Orlando East. Les trois jeunes étudiants ont eu un déclic suite aux reportages des médias sur les modes de vie et les habitudes de dépenses des joueurs de football. Mathang a donc pensé que ce serait une bonne idée de les approcher et de leur dire « laissez-nous nous occuper de vos affaires. Vous avez des gens issus d’un milieu où il n’y a aucune éducation en termes de finance et d’approche médiatique, aucune éducation en termes de vie dans le domaine public », précise t-elle.
Today we welcome Sphesihle Zaca (Right) from the KZN squad that participated in the @SAFA_net U15 TDS Interprovincial tournament, earning himself the top goal-scorer award 🏆 joint with Lesego Hlope of @KaizerChiefs. Zaca was also selected to be part of the National U15 squad.✊🏼 pic.twitter.com/awvAC8cL9R
— P Management Sports (@PManagementRSA) August 24, 2023
Le lancement de P Management a réçu un écho favorable chez les amateurs de ballon rond. A l’époque, ils faisaient figure de précurseur car il y avait peu d’agents. L’étape suivante consistait à comprendre ce que signifiait représenter un joueur, notamment en termes de capital. Il leur a fallu deux ans pour emménager dans un bureau et disposer de suffisamment d’argent pour gérer les joueurs à plein temps, gérer leurs contrats et protéger leurs intérêts. « C’était passionnant, le terrain et le paysage n’étaient pas définis. C’était une zone dans laquelle nous pouvions entrer et donner le ton. Il n’y avait pas beaucoup de concurrents et pourtant il y avait beaucoup de demande de représentation ». A 20 ans, elle côtoyait déjà les présidents de clubs et représentait des joueurs proches de son âge. « Le fait qu’ils aient confiance en moi m’a donné confiance en moi », dit-elle à propos de ses clients précédents.
Les dirigeants de clubs ont vu d’un œil mitigé son arrivée dans le milieu, ce milieu à prédominance masculine. Certains étaient intrigués par sa présence : « que fait cette jeune fille ? » – alors que d’autres ne voulaient tout simplement pas qu’elle soit là, non pas parce qu’elle était une femme, estime-t-elle, mais parce que les agents ne sont généralement pas les bienvenus. La seule différence entre un agent de football masculin et féminin, selon elle, est que les hommes ont davantage l’esprit d’affaires. En tant qu’agent de football féminin, elle souligne qu’il est de sa responsabilité de continuer à promouvoir les joueuses de football, car la plupart des agents ne le font pas – il n’y a pas beaucoup d’argent dans leur sport. « J’ai tendance à trouver des talents, donc j’approche des joueuses mais cela ne me donne pas envie. Je suis conscient des limites dans lesquelles vous pouvez emmener les femmes parce que notre jeu professionnel n’est pas au même niveau que celui des hommes ».
Mathang-Tshabuse et son mari Josy Tshabuse ont deux filles qui s’intéressent déjà au football mais elle espère secrètement qu’elles deviendront autre chose qu’agent de football, à moins que ce ne soit une « vocation ». Elle estime que le métier est éprouvant. Qu’il s’agisse de repérer un joueur, de voyager avec lui d’un club à l’autre et de le vendre, il se peut qu’il n’y ait aucun retour sur investissement pour promouvoir un joueur amateur, surtout s’il n’est pas signé. Ce n’est pas différent de jeter de l’argent par les fenêtres selon elle. Il y a quelques années, Mathang-Tshabuse s’insurgeait quant à l’incertitude qui règnait dans le secteur en raison de la baisse des commissions d’agent, ce qui rendrait plus difficile l’atteinte du seuil de rentabilité pour les intermédiaires débutants. Elle ajoute qu’il y a 15 ans, c’était difficile de devenir agent à cause de la règlementation. Karabo expliqua qu’auparavant, pour être agent, elle devait souscrire une assurance d’un montant de 1 million de rands (53 000 dollars) et apporter l’équivalent de cette somme [en tant que caution] à la Safa. Cette somme servait de frais de service pour l’assurance. Elle reconnait tout de même que la fédération lui a fait une fleur en lui permettant de payer une somme réduite en raison de ses antécédents.
Il aura fallu trois tentatives à Mathang-Tshabuse pour obtenir une accréditation en tant qu’agent de football et pour une personne qui n’avait jamais connu l’échec, elle a dû mal à l’accepter. L’examen était établi conjointement par la FIFA et la SAFA. Il était structuré sous forme d’études de cas et de questions relatives aux transferts des joueurs.
Cependant, elle a vite compris que c’était nécessaire pour progresser « L’examen d’agent que j’ai échoué la première fois était mon premier test pour savoir comment j’allais réagir. Je savais ce que cela signifiait de réussir, je savais que je ne le faisais pas pour moi-même, je le faisais pour des centaines de personnes. D’autres filles qui seraient pionnières dans des domaines inexplorés ». Elle s’est donc fixée comme objectif de réussir l’examen. La deuxième fois, elle a à nouveau échoué, mais à ce moment-là, elle savait qu’elle continuerait d’essayer jusqu’à ce qu’elle réussisse. Une fois licenciée, un autre défi l’attendait : il lui fallait accéder aux clubs. “C’était un défi dans le sens où on ne vous donnait pas d’espace, vous deviez créer cet espace pour vous-même, mais je dois dire que c’était le moment de ma vie, j’avais un impact, j’avais un but.”
P Management et ses clients
En 2007, Mathang ouvre sa société de management sportif, Pmanagement. Depuis sa création, l’agence a représenté plus d’une cinquantaine de joueurs. Sa compagnie a également joué un rôle essentiel dans l’ascension de joueurs tels qu’Amanda Dlamini, Tendai Ndoro et Ronald Kampamba respectivement internationaux sud-africain, zimbabwéen et zambien. Mbongeni Gumede Thembinkosi Lorch, Justin Shonga, Edgar Manaka, Francisco Madinga, Jerry Msane, Mbuso Sibisi, Yusef Maart, Monnapule Saleng, Moses Mokasi, Daweron van Rhyn ou encore l’attaquant belge Ronald Kampamba font aussi partie de joueurs ayant confié la gestion de leur carrière à Mathang Tshabuse.
Kakamas Stand Up ! ✊🏽
Northern Cape Stand Up! ✊🏽
When quality talent is produced from a place that produces few and far in between, you know that you don’t just play for yourself – you represent the whole community!@UpingtonCityFC’s Daweron van Rhyn and now a bird 🐦… pic.twitter.com/U3MbtHMY4x
— P Management Sports (@PManagementRSA) August 11, 2023
Des joueurs qui ont pour la plupart évolué dans les meilleures formations sud-africaines comme Orlando Pirates et les Mamelodi Soundowns. Certains ont même été courtisés par des écuries européennes à l’instar de Cassius Mailula, par Monaco, avant que celui-ci ne décide de finalement s’engager à Toronto FC, en Major League Soccer.
Give it up for jersey number 12 @RealMailula of @TorontoFC – #habashwe pic.twitter.com/drqUx8nad2
— Karabo_Tshabuse (@KaraboMathang7) August 19, 2023
P Management a ensuite été intégré à Tshabuse Law. Cette société fait partie des meilleurs cabinets d’avocats d’Afrique du Sud, spécialisés dans le droit du sport. Tshabuse Law représente les joueurs de football devant la chambre de résolution des litiges de la National Soccer League, la première division sud-africaine. En outre, il possède une expertise dans plusieurs domaines du droit du sport tel que la représentation de clubs de football professionnels devant la commission de discipline de la NSL, la négociation et la rédaction de contrats et l’organisation d’audiences disciplinaires pour le compte de clubs.

Aujourd’hui, Mathang-Tshabuse souhaite continuer à se concentrer sur des branches du droit du sport encore inexplorées comme les réglementations antidopage. « Le côté juridique me fascine tellement ». Elle espère éventuellement représenter des athlètes dans d’autres sports, par exemple le cricket.
A new chapter.🙏🏽 pic.twitter.com/26DRAoegEB
— P Management Sports (@PManagementRSA) April 2, 2022
Engagement et récompenses
En tant qu’un des précurseurs de la profession, Mathang Tshabuse a décidé de prendre le taureau par les cornes. En 2015, elle fonde l’Association des agents accrédités dans le but de barrer la route aux agents sans licence qui sévissent au sein du football sud-africain. « Les agents accrédités de notre pays se sont réunis et ont décidé de ne pas être des chiens les uns envers les autres, c’est une petite manière par laquelle nous essayons de freiner cette sale industrie trouble ».
Pour l’ensemble de son œuvre et sa contribution inestimable au développement du football sud-africain, Karabo Matang Tshabuse a reçu plusieurs récompenses. Ainsi, en 2013, elle figure dans la liste des 200 jeunes Sud-Africains de 2013 plébiscités par le Mail & Guardian. En 2015, elle fait partie des 100 femmes les plus influentes d’après la BBC. Un an plus tard, Glamour Magazine’s la désigne Femme de l’année (catégorie Business). Aujourd’hui, elle poursuit son œuvre en tant qu’agent de joueurs avec pour ambition de représenter des athlètes d’autres sports. Elle nourrit également l’espoir de voir plus de femmes au sein de cette industrie.