Marco Termes, 65 ans, a été l’agent de grands joueurs sud-américains. Il a même possédé 30 % de James Rodriguez, la star colombienne du Real Madrid. Du moins, officiellement. En réalité, le Néerlandais Marco Termes est poète et écrivain. Il n’a jamais rencontré de footballeur professionnel de sa vie. Il a simplement œuvré comme homme de paille pour l’« Argentinian connection » du football, une coopérative de cinq agents qui représentent notamment les stars du PSG Angel Di Maria et Javier Pastore, et qui blanchissent l’argent des transferts dans des paradis fiscaux, par l’intermédiaire de sociétés-écrans aux Pays-Bas.
Termes est un sacré personnage. Il a écrit son premier poème à 13 ans, son premier roman à 17 ans. Mais il décide alors de poser la plume et d’« expérimenter des choses » pour nourrir son écriture. Marco Termes est beau gosse. Durant plus de quinze ans, il a été mannequin, danseur dans des émissions de télévision, chanteur dans un boys band, acteur dans des spots de publicité. Il a aussi vécu à Saint-Pétersbourg avec son ex-femme, une beauté russe rencontrée à Chypre.
En 2006, Termes, revenu aux Pays-Bas, décide de se consacrer à plein temps à sa passion pour la littérature. Son rendement est incroyable, avec huit romans, trois recueils de poèmes et des centaines d’aphorismes écrits en quelques années. Mais ses ouvrages se vendent mal.
À la fin 2008, un ami lui propose de travailler pour Duma, trust company d’Amsterdam, dont la spécialité est de fournir clés en main des sociétés-écrans à toutes sortes d’hommes d’affaires qui veulent se cacher. Le job est simple : il sera le directeur de sociétés immatriculées à son adresse, un logement social de Zandvoort, petite ville côtière à l’ouest d’Amsterdam. Concrètement, son travail consiste à ouvrir le courrier, aller à des réunions chez Duma, et voyager pour faire signer des documents. Ce qui lui prend une dizaine d’heures par semaine.
Ce grand supporteur de l’Ajax d’Amsterdam ignore que deux des coquilles vides qu’il administre servent à blanchir l’argent d’agents argentins. Mais il se rend compte que leur activité est liée au football. Un jour, trois jeunes joueurs argentins, alors âgés de 15, 16 et 18 ans, autorisent la société de Termes à conclure leur transfert dans n’importe quel club dans le monde.
Quelque temps plus tard, la trust company lui remet un jeu de contrats de footballeurs, qu’il doit aller faire signer aux dirigeants de la Lazio de Rome. Une fois arrivé, il découvre que le siège du club est situé dans un immeuble décrit dans son premier roman, celui qu’il a rédigé à 17 ans. « Dans le hall, à côté du bureau du président de la Lazio, il y avait une statue du dieu Ajax, raconte-t-il. Comme l’Ajax est mon club, j’ai demandé à la secrétaire si elle pouvait me prendre en photo. »
Un autre de ses voyages en Italie l’a particulièrement marqué. La trust company Duma l’avait envoyé dans la banlieue de Rome, sur un petit aéroport désert, au sujet d’un deal lié au football. « Officiellement, le terrain était fermé et aucun avion n’était autorisé à atterrir. J’ai attendu là pendant huit heures. Finalement, à 23 h 30, un avion a atterri et les hommes qui devaient signer les contrats sont descendus. » Ils ont redécollé aussitôt.
Durant ces quatre années, il assure avoir lu attentivement tous les documents qu’il recevait, pour ne pas commettre d’irrégularités. « D’après ce que j’ai pu voir, tout était correct, mais j’ai seulement vu une petite partie du puzzle. C’était comme se trouver dans une pièce séparée par un rideau très lourd. Les plans étaient faits d’un côté du rideau, et moi j’étais de l’autre. Parfois, des papiers étaient transmis de l’autre côté du rideau et je devais m’en occuper. »
Mais en 2013, le circuit financier a été redirigé, Marco Termes a été congédié par le fournisseur de sociétés-écrans. Fini le petit boulot parfait. Il ne regrette pas son expérience d’homme de paille, et se dit même reconnaissant envers son ex-employeur : « Cela m’a permis de consacrer quatre ans de ma vie à mon métier d’écrivain, j’ai vécu des choses qui nourriront mon écriture. J’étais un poisson rouge dans un bocal de piranhas. »