La vie d’agent de joueurs est parfois très simple. Prenez le cas du Portugais Alexandre Pinto da Costa. Alexandre est le fils de Jorge Pinto da Costa, l’inamovible président du FC Porto depuis quarante ans. Tout naturellement, l’agent Alexandre fait des affaires avec le club de son papa. Et tant pis si les mauvais coucheurs crient au conflit d’intérêts. Alexandre assure n’avoir aucune influence sur le club, et revendique crânement son statut. « Je suis très heureux et honoré d’être le fils du plus grand président de club que le monde ait jamais connu », a-t-il déclaré.
Sauf que les affaires de l’agent Alexandre avec Porto sont à la fois très rentables pour le fils du président et truffées d’irrégularités. Commissions cachées, conflits d’intérêts, fausses factures : les documents Football Leaks permettent de disséquer de façon inédite les dessous de ce business incestueux.
Il y a d’abord les chiffres. Entre 2012 et 2015, Porto a versé au moins 1,5 million d’euros de commissions au fils de son président, soit 60 % du chiffre d’affaires cumulé de sa société Energy Soccer. À titre d’exemple, Energy a touché 123 000 euros sur la vente du Ghanéen Christian Atsu au club de Chelsea en 2013.
Contrairement à ce qu’il clame, Alexandre Pinto da Costa n’assume pas vraiment cette proximité, au point de se cacher derrière des prête-noms. Il a créé Energy Soccer en juillet 2012. Deux mois plus tard, la société touche 25 000 euros sur le transfert du joueur Álvaro Pereira de Porto à l’Inter de Milan. Curieusement, le club a préféré payer la commission à une agence nommée IG, qui a redistribué une partie de l’argent à Energy Soccer.
Même scénario l’année suivante lorsque Porto s’offre l’international portugais Ricardo Quaresma. Le club verse 500 000 euros de commission à l’agence DNN, qui en a reversé la moitié à la société d’Alexandre Pinto da Costa. Contacté par l’EIC, le patron de DNN a refusé de nous expliquer pourquoi il a rémunéré le fils du président de Porto.
Alexandre Pinto da Costa a fait plus fort encore : lorsqu’il est en affaires avec Porto sur un transfert, il parvient à se faire payer par l’autre club impliqué. C’est totalement contre-nature, puisque l’acheteur et le vendeur ont des intérêts totalement opposés. Et c’est formellement interdit par la loi portugaise, qui stipule qu’un agent « ne peut agir qu’au nom d’une seule des parties à un contrat ».
Cela n’a pas dissuadé Alexandre. Lorsque Porto s’est offert le joueur Carlos Eduardo en juin 2013, il a touché 100 000 euros du club de son papa, et 68 400 euros du club vendeur, Estoril Praia. Rebelote deux mois plus tard avec le prêt de Rolando à l’Inter de Milan : Energy Soccer encaisse 60 000 euros de Porto le 16 août, et envoie le même jour une facture de 75 000 euros au club italien.
Mais tout cela n’est rien à côté de l’incroyable affaire Casemiro, ce milieu de terrain brésilien prêté par le Real Madrid à Porto pour la saison 2014/2015. Cette opération a permis à Alexandre de toucher deux commissions occultes du club de son papa pour un total de 980 000 euros, au travers de fausses factures et de contrats antidatés.
Le dossier est si sensible qu’il a fallu trouver un intermédiaire pour cacher le paiement : Nelio Lucas, le patron portugais du fonds d’investissement Doyen Sports.
Lucas était l’homme idéal, puisqu’il est à la fois un financier du FC Porto et un ami personnel d’Alexandre Pinto da Costa. Il s’est chargé d’encaisser l’argent du club sur le compte au Liechtenstein de Vela, l’une de ses sociétés-écrans immatriculée à Malte. Il a ensuite redistribué la majeure partie des fonds au fils du président, en prenant bien entendu sa commission au passage.
Tout commence en juillet 2014, lorsque le Real prête Casemiro à Porto pour un an, moyennant 1,2 million d’euros. Manifestement, Alexandre Pinto da Costa a joué un rôle dans ce deal. Mais ça doit rester secret. « Porto nous a demandé de changer la référence de la facture. (…) C’est celle de Casemiro n’est-ce pas ? », écrit un collaborateur de Nelio Lucas dans un mail confidentiel qui figure dans les Football Leaks. « Oui mais on ne peut pas le mentionner. Il faut oublier son nom dans les factures ! », répond le patron de Doyen.
Qu’à cela ne tienne, un contrat est établi par Vela à l’attention du FC Porto, au sujet de prétendus services de « scouting » (détection de jeunes talents). Le club paye 300 000 euros à la société offshore de Nelio Lucas, qui en redistribue 280 000 aux sociétés d’Alexandre Pinto da Costa. Le souci, c’est que le fils du président n’a aucun contrat avec Vela. Heureusement, un collaborateur de Nelio Lucas propose d’en fabriquer un pour justifier le paiement. « J’ai fait simple », écrit-il. En effet : le document indique que les sociétés d’Alexandre ont fourni des « services de consulting en business et en management », sans plus de précision.
Le deuxième épisode, encore plus fou, se joue un an plus tard. Il y avait, dans l’opération Casemiro, une clause pour le moins étrange. À l’issue du prêt, si Porto ne veut plus du joueur, le Real le récupère gratuitement. Porto a aussi une option d’achat pour 13,8 millions d’euros. Si Porto exerce cette option, le Real peut exercer une contre-option, moyennant un paiement de 7,5 millions à Porto. C’est totalement absurde : on voit mal pourquoi un club devrait payer pour un joueur qui lui appartient.
C’est pourtant ce qui est arrivé : Porto a dit vouloir acheter Casemiro, le Real a exercé sa contre-option et a versé 7,5 millions au club portugais. Ce qui est encore plus troublant, c’est que Porto a reversé dans la foulée 1,26 million d’euros à Nelio Lucas et Alexandre Pinto da Costa, sans qu’on comprenne ce qui a pu justifier un tel paiement.
Cette fois encore, pas question pour le club de verser directement l’argent au fils de son président. Porto verse 1,26 million d’euros sur le compte au Liechtenstein de Vela, la société offshore de Nelio Lucas. Dans un mail confidentiel, un de ses collaborateurs écrit que c’est une « commission liée à l’exercice de l’option du Real Madrid » sur Casemiro. Cette fois, il n’y a apparemment même pas de contrat pour habiller le paiement. Les collaborateurs du patron de Doyen ont réclamé plusieurs fois ce document sans l’obtenir, selon des emails internes issus des Football Leaks.
Nelio Lucas conserve 426 000 euros, et reverse 700 000 à Energy Soccer. Le contrat est pour le moins croquignolet. Sur les 700 000 euros, 500 000 sont justifiés par le fait qu’Alexandre Pinto da Costa aura droit à une commission « si le Real Madrid exerce sa contre-option de rachat ». Il était sûr de l’obtenir, puisque cette clause a été rédigée après l’exercice de l’option ! Quant aux 200 000 euros restants, c’est officiellement parce que Nelio Lucas paie le fils du président de Porto pour être l’agent de Casemiro à sa place. Une absurdité totale, les agents ne laissant le soin à personne d’autres qu’eux de veiller sur leurs protégés.
Interrogé par l’EIC, Nelio Lucas n’a pas souhaité nous parler. Il a fait répondre par le porte-parole de Doyen que l’opération avec Energy Soccer était « confidentielle », et que « les deux entreprises respectent l’ensemble des obligations, y compris fiscales, auxquelles elles sont soumises ». Le FC Porto et Alexandre Pinto da Costa n’ont pas donné suite à nos sollicitations.
Source : Mediapart