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Patrizia Pighini, bien plus qu’un agent de joueurs

Romaric ETONG

“J’ai commencé en 1994 et je pense que j’étais la première femme à avoir postulé à la licence Fifa en tant qu’agent. Parfois je me souviens que les présidents de clubs ne me parlaient pas, pensant que j’étais une secrétaire ou la petite amie d’un joueur de football. C’est devenu un défi. Lorsque les premiers compliments sont arrivés, j’ai été stupéfaite. Il n’y a pas de travail qu’une femme ne puisse pas faire. Il y a de la volonté ». C’est en ces mots que Patrizia Pighini évoquait son arrivée dans le football dans les années 90.

Les débuts de Pighini en tant qu’agent de joueurs

Originaire de Naples, Patrizia Pighini est une femme d’affaires accomplie peu connue du grand public. Elle a pourtant été l’un des agents les plus influents d’Italie pendant une quinzaine d’années. Petite, elle était fan de la Juventus Turin car vivant dans le même immeuble que le gardien Dino Zoff, la légende turinoise. Son amour pour la Veille Dame s’est toutefois quelque peu estompé lorsqu’elle a fait ses débuts dans le football.

Diplomée en Economie à l’Université Bocconi (Milan) en 1992, et spécialisée en marketing, la belle italienne optera pour la gestion de carrière de sportifs après ses études. En 1994, elle passe l’examen d’agent et obtient sa licence auprès de la Fédération Italienne (FIGC). Elle devient ainsi la deuxième femme à décrocher le précieux sésame après Silvia Patruno.

Un an plus tard, c’est le tournant de sa carrière. Pighini rencontre l’Italien Antonio Caliendo, un agent expérimenté, originaire de Naples, comme elle, et qui deviendra par la suite son mentor. Elle raconte la rencontre qui a changé sa vie après ses études. “J’ai rencontré Caliendo, l’homme qui a pratiquement inventé cette profession”, déclare-t-elle dans une interview accordée à son université en 2006, avant de poursuivre “Juste après avoir obtenu mon diplôme, il m’a proposé de travailler avec lui et j’ai accepté son offre de travail. J’ai commencé par des tâches humbles, l’apprentissage classique qui me paraissait un peu modeste pour quelqu’un qui avait en poche un diplôme d’une université renommée, mais ensuite, à force d’écouter et d’apprendre, j’ai mûri mon métier”. Elle gérera ainsi les carrières de Roberto Baggio, David Trezeguet, Peter Luccin, Ederson ou encore Salvatore Schillaci, brisant ainsi les barrières d’un milieu uniquement réservé à la gente masculine.

En 1996, elle obtient la licence d’agent de la FIFA, à une époque où les différentes fédérations ont décidé de professionnaliser un métier jusqu’alors peu réglementé. “Depuis lors, d’importantes étapes ont été franchies dans la reconnaissance de cette profession“, déclare Patrizia, “même si, aujourd’hui encore, certains joueurs de football préfèrent confier la gestion de leurs intérêts à des amis ou à des membres de leur famille plutôt qu’à un professionnel préparé”. Pour elle, un agent doit être capable d’accompagner le joueur sur tous les plans “Aujourd’hui, peu d’athlètes décident de s’en passer. Un bon agent est capable de suivre ses clients dans tous les domaines. De l’élaboration d’un contrat à la gestion des sponsors, en passant par des conseils en matière d’investissements et même, parfois, par la résolution d’affaires privées”. Des connaissances qu’elle reconnait avoir acquises lors de ses études notamment en marketing, gestion des contrats, droits d’image etc.

En 2007, elle évoquait auprès de Quotidiano Nazionale la difficulté pour une femme à se faire une place parmi les agents « Il n’y avait qu’une seule agent, une Ecossaise de 55 ans (Rachele Anderson, ndlr) qui avait quelques joueurs parmi ses clients […] Au début de ma carrière, c’était difficile, je ne le recommande pas aux femmes parce que cela demande beaucoup de travail et de sacrifices, plus que le boycott des collègues, j’ai dû prouver ma valeur et gagner en crédibilité”.

Blonde et élégante, le vocabulaire d’une parfaite manager, Patrizia Pighini, 59 ans aujourd’hui, a contribué à l’acceptation des femmes dans l’industrie. Elle, qui en parallèle de ses études universitaires a mené une carrière de mannequin qui l’a conduite dans le monde entier, a dirigé avec Antonio Caliendo la société Image Promotion Company, basée à Montecarlo, entre 1995 et 2013. Une collaboration longue de 18 ans, qui verra ensuite Pighini créer sa propre agence, la E&P Athletes Company.

Pighini, d’agent à compagne d’Ederson

Parmi ses clients, Pighini s’est occupé des intérêts d’Ederson, l’attaquant brésilien passé par l’OGC Nice, l’Olympique Lyonnais, la Lazio Rome ou encore Flamengo. Une relation si forte entre l’agent et le joueur qu’en 2008, ils se sont mariés avant de donner naissance à leur fils Alessandro, en 2011.

Tout commence en 2005, quand le Brésilien évoluait au club de la Côte d’Azur. Patrizia et Ederson s’y sont rencontrés. À l’époque, elle était encore agent de joueurs, un métier qu’elle exerçait depuis 1995. Patrizia a travaillé dans un bureau à Monte-Carlo, où elle a une résidence fixe, et a commencé à s’occuper directement de la carrière du meneur de jeu brésilien, alors qu’il n’avait que 19 ans.

Diplômée de l’une des plus prestigieuses universités d’Europe, la femme d’affaires a toujours mis en avant le talent du niçois lors de ses interviews. “Vous allez beaucoup entendre parler d’Ederson. Il y a de grandes choses qui se prépare pour lui.” Ou encore : “Barcelone et l’Inter Milan font partie des clubs qui ont déjà sondé Ederson.” Bien que l’avenir de son client n’ait pas été aussi glorieux que les prédictions de son agent et du principal fan du joueur, l’harmonie entre les deux a conduit à leur mariage en 2008 malgré leurs 22 ans d’écart.


« Sa maturité m’a impressionné. C’est quelqu’un qui s’intéresse à tous les aspects de la vie, au-delà du football : l’économie, les investissements, la culture, la bouffe… Tout. Il parle espagnol, italien, français et souhaite également apprendre l’anglais, en plus de sa langue maternelle, le portugais. C’est un professionnel dévoué à 100%, qui s’occupe de tous les détails » –
loue Patrizia, qui a cessé d’être la représentante du joueur après le mariage et la naissance de l’unique enfant du couple.
Bien qu’elle ne soit plus la manager d’Ederson, Patrizia a révélé qu’elle avait conseillé à son mari de prendre la décision de retourner au Brésil en 2015. Il rejoindra Flamengo. Le Brésilien a renoncé à une bonne partie du salaire qu’il percevait à la Lazio – environ 1,5 million d’euros par an contre la moitié chez les Rubro Negro.

Ederson et Patrizia ont mené quelques batailles avec la presse et les fans qui ont inondé les réseaux sociaux de commentaires controversés en raison des diverses blessures contractées par le joueur. L’apogée a eu lieu en janvier 2015, lorsque le Brésilien a refusé d’être transféré à la Sampdoria. La Lazio recevrait l’attaquant Bergessio en échange, mais l’accord a capoté à la dernière minute. Les supporters se sont révoltés et ont accusé Ederson de « conserver son salaire de millionnaire au club romain, mais sans le mériter ».
L’épouse a défendu son mari sur les réseaux sociaux avec un énorme message – écrit en italien et partagé plus tard par le joueur lui-même. La publication a fait écho dans toute l’Italie. Mais globalement, les fans ont gardé une image positive du joueur et de sa compagne, les qualifiant de deux personnes “toujours très gentilles et polies“. Reporter pour le site « Lazialita.com », Valerio Cassetta affirme que l’ancien joueur de la Lazio « s’est toujours démarqué par son humanité et sa simplicité ».

Ses déboires face à l’Atlético Madrid

Lors de sa carrière d’agent de joueurs, tout n’a pas été rose pour Patrizia Pighini. Elle a aussi connu des mésaventures. Ce fut le cas en 2007. Lors du mercato estival, elle organise le transfert de son client Peter Luccin de l’Atletico Madrid au Real Saragosse. Après la transaction, estimant être floué, Pighini, agissant pour le compte de la société de représentation Image Promotions Company, a déposé une réclamation de 650 000 euros de commissions plus 5% du montant du transfert auprès de la FIFA. L’instance du football mondial lui donne partiellement raison et ordonne le club espagnol de verser la somme de 400 000 euros à l’agent. Mécontente de la décision, Pighini décide de faire appel auprès du Tribunal Arbitral du Sport (TAS), qui après avoir étudié le dossier estime que l’Italienne n’était pas partie au contrat litigieux (seule l’agence l’était). Par conséquent, cette dernière n’avait pas qualité pour introduire une réclamation dans le cadre de la procédure. De ce fait, le TAS annulé la décision de la FIFA au motif que la requérante n’avait pas qualité pour agir, étant donné que le contrat avait été signé par la société et non par la personne physique qui introduisait la réclamation. Une grosse débâcle pour l’agent.

Quelques années auparavant, Patrizia Pighini avait été citée dans l’enquête sur les transferts douteux entre le PSG et l’OM. Le juge Renaud Van Ruymbeke s’était notamment intéressé au cas de de son poulain Peter Luccin, transféré de l’OM au PSG en juillet 2000, pour 90 millions de francs, commissions aux agents incluses. Patricia Pighini, à qui le PSG a versé 5,2 millions de francs (792 000 euros) selon Libération, avait été dans les collimateurs des enquêteurs.

L’une des instigatrices du Golden Foot

Au-delà d’être un agent de joueurs à succès, Patrizia Pighini a su se montrer à son avantage dans l’organisation d’évenements d’envergure. Ainsi, en 2003, après trois années de réflexion, elle se lance, avec Antonio Caliendo, dans la création du Golden Foot, un prix international ayant pour but de récompenser les légendes du football et la carrière d’un joueur de plus de 29 ans encore en activité pour l’ensemble de ses performances et sa personnalité. Un défi risqué lorsqu’on sait à quel point les cérémonies de récompenses sont nombreuses dans le football. Le Ballon d’Or France Football, le Joueur FIFA, le Golden Boy Tuttosport pour ne citer que ceux-là. “Notre idée est de créer un musée du football en plein air sur la belle promenade de Monte-Carlo, mais aussi de faire connaître des légendes du passé et des champions inoubliables, parmi les empreintes, celle du grand Facchetti”.

Pour se consacrer à l’organisation de cet évènement international, Patrizia Pighini a réaménagé ses habitudes de travail au début des années 2000, travaillant essentiellement du siège de l’entreprise, à Monaco, alors que quelques années auparavant, elle passait plus de temps aux quatre coins du monde comme elle l’expliquait en 2005 au micro de Flashsport « Aujourd’hui, c’est presque devenu mon seul travail. Nous ne sommes partis de rien il y a trois ans et avons dû nous battre contre un mur d’indifférence et de méfiance, car il existe déjà de nombreux prix dont la réputation n’est plus à faire et qui ont eu beaucoup de difficultés à se faire une place dans le domaine des récompenses internationales de football. »

Rapidement, Patrizia a réussi à convaincre plusieurs légendes du football à épouser le projet et venir en Principauté pour y laisser leurs empreintes dans ce lieu prestigieux. D’ailleurs, le premier lauréat sera Roberto Baggio, un joueur géré par Patrizia Pighini, évidemment. Ne dit-on pas que la bonne charité commence par soi-même ? Ses empreintes sont encrées sur le fameux “Walk of Fame” du football, désormais plus connu sous le nom de “The Champions Promenade”. « Nous décernons le Golden Foot Award aux champions les plus importants de l’histoire du football, aux grandes légendes, aux mythes de ce sport, ainsi qu’à un joueur de renommée internationale toujours en activité. Le Golden Foot Award est en outre un prix récompensant la carrière et est complètement différent des autres prix, notamment parce qu’il permet à tous les fans de football du monde entier de jouer un rôle décisif dans le vote par l’intermédiaire du site Internet www.goldenfoot.com. N’oublions pas non plus les empreintes des joueurs. »

L’Italienne a réalisé un travail à 360 degrés, gérant ainsi les relations avec les joueurs, avec les médias, le marketing etc. Elle soulignait également l’envie de voir ce prix se différencier des prix classiques basés uniquement sur les performances actuelles des joueurs « Nous ne voulions pas seulement créer un prix de grande valeur (le Golden Foot Award est une pièce d’or pesant 200 grammes et une étoile d’or avec des diamants). Nous avons également essayé de créer quelque chose de fort, quelque chose qui pourrait laisser une marque tangible et durable, tout comme les empreintes de pas sur la “Promenade des champions”. Il ne s’agit pas seulement d’un tableau d’honneur, d’une liste des joueurs récompensés, mais plutôt d’un musée en plein air sur le magnifique front de mer de Monte-Carlo […] En ce qui concerne les footballeurs, leurs empreintes peuvent être considérées comme leurs “outils de travail”. C’est ce qui rend notre événement si particulier. Nous voulons également souligner qu’une autre particularité du Golden Foot est que des joueurs qui ont joué à des époques différentes posent leurs empreintes sur la même promenade, des personnalités différentes et des histoires différentes, des souvenirs et des émotions dans l’histoire du football, que les fans ont vécu à travers ces grands champions ». Le moins que l’on puisse dire est que Patrizia a réussi son pari. Le prix a bénéficié de la reconnaissance internationale qu’il méritait, si bien qu’aujourd’hui il est un rendez-vous incontournable au même titre que le Globe Soccer Awards, le Ballon d’Or etc. Grâce à elle, on a vu les plus grands joueurs débarqués à Monte Carlo pour recevoir leur distinction et poser leurs empreintes à la Promenade des Champions. C’est le cas de Pele, Maradona, Ronaldo, Roger Milla, Ronaldinho, Zinedine Zidane ou encore Gerd Muller. Elle avait dû aller directement en Hongrie pour remettre le prix de Puskas alors très malade.

En 2013, elle quitte le comité d’organisation de la cérémonie mais garde de nombreuses personnalités en amitié comme Michelle Bolsonaro, l’ancienne première dame du Brésil.

Son implication dans des œuvres sociales

Patrizia Pighini a su également se distinguer via son implication dans des causes sociales. Le projet STEAMiamoci, par exemple, est l’une d’elles. Il s’agit d’une initiative née pour lutter contre les inégalités entre les sexes sur le lieu de travail, ceci en promouvant la formation et l’emploi des femmes dans tous les domaines professionnels. Le projet arrive dans la province d’Imperia, en Italie, en commençant par les écoles de Sanremo.

En 2015, après une riche carrière dans le football, Patrizia Pighini décide de quitter la vie d’agent pour se consacrer à sa famille. Aujourd’hui, à bientôt 60 ans, Patrizia Pighini profite de ses proches, notamment son fils qu’elle ne manque pas de mettre en avant sur son compte Instagram. Elle s’est également séparé du père de son enfant, Ederson et vit paisiblement à Monaco.