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Manuel Barbosa, la finesse du premier agent FIFA

Romaric ETONG

Manuel Barbosa a été le premier agent FIFA au Portugal. Il a eu le mérite d’être innovant et visionnaire. Il était un exemple de par sa personnalité et pour la manière dont il défendait les intérêts de ses clients. Il a créé une profession et s’est toujours battu pour elle afin qu’elle ne disparaisse pas”, avait déclaré Artur Fernandes, président de l’Association nationale des agents de football (ANAF) au Portugal. Son décès le 20 mars 2014 à Cascais, à l’âge de 69 ans, était quasiment passé inaperçu. Et pourtant, Manuel Ferreira Barbosa est l’un des tout premiers agents de l’histoire licencié par la FIFA en 1994. Du Portugal à la France, en passant par le Brésil, le sens des affaires de l’intermédiaire portugais n’a laissé personne indifférent. Retour sur son histoire.

Manuel Barbosa est né en 1945 à Aveleda, une petite ville proche de Braga, au nord du Portugal. A sa majorité, il décide de rejoindre la France pour y trouver du travail. Après un an à enchainer de petits boulots dans le bâtiment, il trouve un nouveau point de chute dans une agence de voyage dirigée par un Espagnol. Une relation de confiance est née entre les deux hommes. Elle conduira le jeune Manuel à se voir confier, par le Catalan, les rênes d’une des antennes de l’agence à Paris. Manuel deviendra même par la suite le parrain de son fils.

Parallèlement à son activité à l’agence de voyage, Manuel cherche à arrondir ses fins de mois. Il décide de s’occuper des démarches administratives (passeports, visas et autres documents) des immigrés. « Il se rendait à l’ambassade et aux consulats à Paris pour attirer des clients », raconte son fils, Rui Barbosa. Dans les années 60, près d’un million de Portugais ont investi l’hexagone. Au fur et à mesure, les files d’attente grandissent, les bénéfices aussi.

Comme le précise un article du journal portugais SOL, Barbosa était très attaché à sa famille et accordait une grande importance aux valeurs de travail, raison pour laquelle il s’identifiait au Général de Gaulle et à Antonio de Oliveira Salazar, l’ancien Premier Ministre et Président par intérim de le République portugaise dans les années 50. Paradoxalement, ce sont les évènements de mai 1968 (manifestations étudiantes, grèves générales), connotées d’idéaux de gauche, qui lui ont donné la force financière de devenir son propre patron. Alors que les étudiants et près des deux tiers de la classe ouvrière protestent contre le régime de De Gaulle, une grève générale paralyse le pays. Les aéroports et les chemins de fer ferment, les déplacements sont limités. C’est le moment choisi par Manuel Barbosa pour mettre en place une flotte de voitures pour permettre aux Portugais de se déplacer. Une idée qui s’avère être une réussite et lui permet de racheter l’agence de voyages, entre-temps mise en vente. Il la rebaptisera Mercury, en référence à Mercure, le dieu du commerce et du profit dans la mythologie romaine. L’agence de voyage possède trois succursales à Paris. A partir de 1971, Mercury s’étend au Portugal où dix-sept antennes sont ouvertes avec le soutien du fondateur de la banque BIP et futur président de Benfica, Jorge de Brito. Jorge deviendra un de ses plus grands amis. Mais avant de retourner au Portugal, il souhaite lancer ses activités dans le football à Paris.

Ancien président du Benfica

Ainsi, il parvient à attirer Benfica et le Sporting dans la capitale française en avril 1971, en réservant un cachet à chaque équipe. Eusébio, Simões, Torres, Humberto, Nené ou encore Artur Jorge sont opposés à Damas, Hilário, José Carlos, Peres et Lourenço au stade de Colombes. Plus de 40 000 personnes assistent au premier derby de Lisbonne organisé hors du Portugal et qui verra les Leões l’emporter 3-1. Au-delà du résultat, ce match amical constitue une belle publicité pour Mercury, même si le Portugais annonce des recettes en deçà du coup de l’organisation « Je n’ai ni regret, ni remords car j’ai eu une bonne exposition publicitaire, rempli toutes mes obligations et le match s’est déroulé à merveille », commente-t-il au journal A Bola. L’Équipe et France Football ont même consacré des articles à l’évènement. L’année suivante, le 2 avril 1972, Manuel Barbosa organise un match amical entre Benfica et le Bayern Munich au stade Yves du Manoir à Colombes, en banlieue parisienne. Le SLB s’impose 2-1 pour le plus grand bonheur de Manuel, fan du club.

Eusebio et Franz Beckenbauer en 1972 lors du match amical entre le Benfica et le Bayern au stade Yves du Manoir.

Très proche du Benfica, Barbosa n’a cependant jamais négocié avec le Sporting. “Le Sporting n’a jamais voulu travailler avec moi”, indique-t-il, dans une interview accordée à DN en 2008, dans laquelle il assume avoir “volé” Ricardo Gomes aux Leoes pour le mettre dans “son” Benfica. Il était également fier d’avoir « volé » Mozer au FC Porto mais il n’a pas arrêté de travailler avec le FC Porto pour autant. Au contraire, il a toujours déclaré son admiration pour le président des Dragoes “Il serait injuste de ne pas admirer l’œuvre du Général De Gaulle en France et je dis la même chose dans le cas de Jorge Nuno Pinto da Costa. Seul un dictateur libéral peut faire ce qu’il a fait dans ce club et personne ne m’empêche de reconnaître en lui un stratège super compétent. Je tiens également à dire qu’il ne m’a jamais fait défaut dans aucun accord, y compris ceux qui n’étaient pas écrits. Carolina Salgado a-t-elle détruit Pinto da Costa ? Ni Pinto da Costa ni l’ensemble des machines politiques n’ont pu le détruire”, a-t-il ajouté au cours de la même interview à DN. Barbosa n’avait pas non plus tari d’éloges pour Luís Filipe Vieira qu’il considérait comme un président courageux malgré le fait que selon lui “Il y a peu d’hommes d’affaires, il y a beaucoup de béquilles contrôlées par les clubs”

Peu de temps après, Barbosa rentre au Portugal. Déjà père de deux enfants nés en France, il s’installe avec sa famille à Cascais, une station balnéaire située à l’ouest de Lisbonne. En ce qui concerne Mercury, l’activité s’étend dans tout le pays : Lisbonne, Braga, Montalegre, Arcos de Valdevez, Ponte da Barca et Ourém. Pour développer l’activité, elle a le soutien de la BIP, la banque fondée par Jorge de Brito en 1972 et qui, le 25 avril 1974, détient une bonne partie du capital de l’agence. Mais les choses se compliquent lorsque que le banquier est arrêté quelques mois après la Révolution des Œillets, accusé d’avoir transféré de l’argent à l’étranger sans autorisation de la Banco de Portugal. Au plus fort de la révolution, l’État a commencé à prendre le contrôle du BIP et, par conséquent, Manuel Barbosa a été écarté de l’administration du Mercury. Il essaie donc de regagner Paris mais six mois plus tard, il plie bagage et se rend au Brésil. « Il s’est installé au Copacabana Palace (à Rio de Janeiro, ndlr) et la grande aventure de sa vie a commencé là », rapporte Jorge Gama, embauché en 1974 par Mercury et invité à se lancer dans ce nouveau défi. Sans argent en banque et avec des liquidités uniquement pour les dépenses courantes, Manuel Barbosa profite de son séjour dans l’un des hôtels les plus luxueux de Rio de Janeiro “et de son discours optimiste” pour racheter “l’une des plus grandes agences de voyages” du Brésil. L’homme d’affaires convainc Banco Itaú d’investir en échange de l’hypothèque de l’entreprise. Gama se souvient d’avoir pleuré ce jour-là. « Manuel faisait des omelettes sans oeufs, c’était un visionnaire ». Avec un empire de succursales à travers le pays, l’étape suivante consiste à contacter la Confédération Brésilienne de Football (CBF) avec pour objectif d’organiser tous les voyages des sélections nationales. La CBF accepte la proposition et signe un contrat qui lie les deux parties. La connexion au football outre-Atlantique peut débuter. Toutefois, l’agence n’a pas le succès escompté. Jorge Gama explique qu’à cette époque « le Brésil a institué une loi qui oblige ses citoyens à déposer mille dollars sur un compte du gouvernement pour obtenir des passeports », ce qui décourage les voyages à l’étranger. L’objectif est de retenir l’argent dans le pays. La mesure intensifie le désir de Manuel Barbosa à quitter le Brésil pour retourner au Portugal. Trois ans après la perte du Mercury suite à une révolution qui bat de l’aile, Manuel réussit à en reprendre le contrôle. Dans la foulée, elle devient l’agence officielle de Benfica, un statut qu’elle conservera pendant 17 ans.

Au début des années 1980, une nouvelle opportunité commerciale fait son apparition. Depuis son passage à Paris, Manuel Barbosa fréquentait Bruno Santos, le correspondant d’A Bola dans la ville lumière. Le journaliste suivait chaque année le Tour de France, et Mercury a même sponsorisé Joaquim Agostinho dans ses exploits sur les routes des Alpes et des Pyrénées. Bruno Santos était, quant à lui, un ami de João Havelange, le Brésilien qui a présidé la FIFA de 1974 à 1998. Et il connaissait très bien l’entraîneur Carlos Alberto Parreira qui était à la tête de l’équipe nationale du Koweït depuis 1978. Conscient de ce carnet d’adresses très fourni, Barbosa demande à son ami de lui présenter Parreira et propose aussitôt au technicien brésilien un stage au Portugal en guise de préparation pour la Coupe du monde 1982 qui aura lieu en Espagne. La proposition est tout de suite acceptée. Dans le même temps, il fait la même proposition à l’équipe brésilienne en échange d’être reconnu comme agent de voyage officiel de l’équipe. Ainsi, Zico, Sócrates, Falcão et compagnie posent les pieds à Guincho. C’était l’ultime publicité qu’il manquait à Mercury pour prendre son envol. Dans les années suivantes, Manuel Barbosa ajoute les Emirats Arabes Unis, le Qatar, l’Irak, l’Arabie Saoudite, Bahreïne et la Jordanie à son tableau de chasse. Le Moyen-Orient est conquis. « Le marché arabe a donné à Manuel une capacité financière très importante », souligne Jorge Gama, le principal interlocuteur lors de ces négociations. Ne parlant que Portugais et français, Barbosa n’était pas toujours au centre des discussions mais savait prendre les rênes des négociations quand il le fallait. Lors des stages, ils nouent des relations avec d’éminentes personnalités du Proche Orient. L’une d’entre elle était Fahed Al-Sabah, frère de l’émir du Koweït, avec qui il entretient des liens étroits. Les contacts avec Al-Sabah ont ouvert la porte au transfert de Quinito à Al Yarmouk (Koweit) en 1985, lors de la première incursion d’un entraîneur portugais dans des clubs du Moyen-Orient.

Manuel Barbosa était rusé. Lors d’un voyage éclair d’un prince saoudien à Paris, il se démène pour lui proposer et boucler un stage. Avec très peu de liquidités en poche, ils empruntent de l’argent à des amis pour acheter des billets d’avion et louer une chambre au George V, un hôtel cossu de la capitale. Il applique la même stratégie que celle utilisée quelques années plus tôt au Copacabana Palace. Et ça fonctionne.

L’homme d’affaires savait aussi être un bon samaritain. A l’époque, un employé d’une entreprise de bâtiment du Nord est détenu en Arabie Saoudite et Barbosa négocie l’autorisation de lui rendre visite à la prison de Damman. « Il n’avait encore reçu personne et Manuel s’y est rendu exprès pour pouvoir faire savoir à la famille comment il allait. Il y a souvent une idée fausse sur Manuel, mais il a fait ces choses sans rien attendre en retour ».

Saddam Hussein lui joue un mauvais coup

Dans les années 80, Manuel Barbosa organise un stage de l’équipe nationale irakienne de football au Portugal, au  camp d’entraînement de Cascais. Toutefois, les choses ne se sont pas passées exactement comme prévu. Saddam Hussein, président de la République de l’époque, ne souhaitait pas régler la dernière tranche à l’intermédiaire portugais.

Manuel Barbosa lors d’un stage avec l’équipe nationale irakienne

Alerté de ce refus du règlement de la facture, Barbosa a pris une décision ferme : il a retenu leurs bagages, confisqué leurs passeports et appelé la police. « Si vous ne payez pas, vous ne partez pas non plus », les a-t-il prévenus. Les Irakiens n’ont pas attendu les autorités. Ils sont montés dans le bus et se sont réfugiés à l’ambassade de Lisbonne, en attendant le feu vert de Saddam pour régler leurs comptes avec Manuel Barbosa. C’était les années 80 et le tout-puissant président irakien restait inflexible, faisant un bras de fer à distance. L’homme d’affaires portugais n’a pas hésité. Le montant manquant n’était pas seulement destiné à couvrir la dernière tranche de dépenses, mais était également essentiel pour que l’entreprise réalise des bénéfices. La nuit était déjà tombée lorsqu’ils ont appelé de l’ambassade : ils avaient l’argent mais ils n’ont pas voulu payer par chèque ou virement bancaire. “Nous avons passé deux heures à compter des billets de cinq dollars qu’ils ont récupérés auprès de tout l’entourage”, se souvient au SOL Jorge Gama, le bras droit de Manuel Barbosa, à l’époque dans l’organisation des stages sportifs.

Début et ascension en tant qu’agent

En tant qu’impressario, Fernando Chalana est le premier grand talent que représentera Manuel Barbosa. Malheureusement, l’expérience tourne court. Le courant ne passe avec la femme du milieu de terrain, Anabela. C’est un coup de fil à Gaspar Ramos, ancien directeur sportif et vice-président de Benfica qui fera exploser la nouvelle activité de l’homme d’affaires portugais. Benfica est en tournée aux États-Unis, en 1987, lorsque Manuel Barbosa compose le numéro de l’homme fort du football rouge. « Tu as déjà perdu Júlio César, mais j’ai une alternative, si tu veux » – dit-il à Gaspar Ramos, qui accueille l’information avec étonnement.

Fernando Chalana, le premier joueur géré par Manuel Barbosa

Le club de Luz avait convenu il y a longtemps de la signature du Brésilien et il ne restait plus qu’à finaliser le contrat avec le joueur. Barbosa, entreprenant, suggère une autre piste : Carlos Mozer. C’était un vieux rêve de Gaspar Ramos. Il connaissait le défenseur central de Flamengo depuis qu’il avait 18 ans. A 27 ans, il faisait partie de la Seleçao et semblait être une piste impossible. « Mais, en raison des problèmes financiers de Flamengo, Manuel Barbosa m’a dit que cela pouvait arriver », se souvient l’ancien chef des Aigles, immédiatement enthousiasmé par l’idée. « Je préfère Mozer à Julio César, voyez combien ça peut coûter et dites-nous ensuite ». En quelques jours, l’affaire est conclue. Et Manuel Barbosa, qui représente déjà des joueurs comme Carlos Manuel ou Diamantino, a désormais ses portes ouvertes en territoire “rouge”. Mozer, qui s’installe deux ans plus tard à Marseille avec un contrat d’un million de dollars, vient seulement d’apprendre la véritable histoire de son transfert en Europe. « Je ne le savais pas. Il a donné une nouvelle direction à ma carrière. J’ai rejoint Flamengo quand j’avais 15 ans et je n’ai jamais pensé à partir, mais j’étais très content de mon arrivée ici. Mon passage à Benfica s’est super bien passé. Il m’a aidé en tout et je lui dois tout. Il a facilité mon intégration et m’a apporté son aide”, avait confié à Expresso l’ancien défenseur des diables rouges, désormais basé au Portugal.

Gaspar Ramos, ancien vice-président et directeur sportif du Benfica

De son côté, l’homme d’affaires du Minho continue son ascension. En 1987, il attire le milieu Elzo qui signe au Benfica avant l’arrivée du trio de poids Ricardo Gomes, Valdo et Aldair. « Il connaissait très bien le marché brésilien et était donc l’homme idéal pour négocier. Il était libre de faire des suggestions mais n’a fait qu’intervenir dans le recrutement des joueurs choisis par Benfica et il l’a toujours très bien fait, avec des avantages pour le club », atteste Gaspar Ramos. La seule fois où ils ont eu un désaccord, c’est lorsque Ricardo Gomes rejoint le Paris Saint-Germain en 1991. Manuel Barbosa accepte la proposition du club francilien mais apprend dans le même temps que l’entraineur de l’époque des Rouges, Sven Goran Eriksson, a l’intention de garder le défenseur brésilien et d’ajouter un autre défenseur central du même calibre pour bien figurer en Coupe d’Europe. L’entraîneur du Benfica demande à Barbosa de ne pas en informer son protégé, Ricardo. Mais quelques jours plus tard, Ricardo frappe à la porte. Il souhaite quitter le club. Il prétend avoir une offre « 20 fois supérieure » au salaire qu’il perçoit à la Luz. Et il conclut : « M’empêcher d’y aller, c’est comme me priver d’une très grande opportunité ». Gaspar Ramos est persuadé que c’est Manuel Barbosa qui incite le Brésilien à quitter Benfica, mais l’homme d’affaire refusera toujours de l’admettre. Rui Barbosa révèle même que Bernard Tapie, avec qui son père était proche depuis le transfert de Mozer à Marseille, « propose un million de dollars » pour subtiliser Ricardo Gomes au PSG mais refus catégorique. « Pas question, j’ai déjà donné ma parole », répond Barbosa. « Mon père avait une maxime qui disait : ‘Si j’échoue une fois, je ne ferai plus jamais affaire avec eux, alors je continuerai à faire affaire avec tout le monde et je n’échouerai pas ».

Ricardo Gomes avec Manuel Barbosa à sa gauche

Très souvent, sa proximité avec ses joueurs était poussée à l’extrême. « Parfois, il était dictateur. Il imposait sa volonté comme il l’a fait avec mon frère et moi. C’était un père ». Paula ne cache pas qu’elle a apprécié l’attitude de son père lorsqu’il attirait l’attention de ses joueurs sur les choses importantes de leur vie privée – « si leur famille allait bien, s’ils envoyaient de l’argent à la maison, s’ils envisageaient d’avoir des enfants, d’acheter une maison et de se marier… », mais avoue avoir ressenti de la jalousie de temps en temps. Un jour, elle était au volant, avec des joueurs dans la voiture. Elle a dû trop appuyer sur l’accélérateur et on entendait la voix du père : « Paula, vas-y doucement, voici mes enfants ». J’ai fini par trouver ça drôle. Il s’est habitué à avoir une maison pleine de « frères » du Brésil. Et quand ce n’était pas les joueurs, c’était les amis. « Le frigo était toujours plein et quiconque nous rendait visite, restait pour le déjeuner. Mon père adorait voir les gens autour de lui heureux », raconte-t-elle, fière du “monstre social” qui “a toujours vécu à mille à l’heure”.

Au-delà de son sens très aigu de l’amitié, Manuel Barbosa était également un homme superstitieux et il ne s’en cachait pas. Lors de la finale de la Coupe d’Europe 1990/91 entre Marseille et l’Etoile Rouge de Belgrade à Bari, en Italie, il a tout fait pour attirer l’attention de l’entraîneur Franz Beckenbauer avant la séance de tirs au but. Barbosa a tenté de demander à l’Allemand de ne pas laisser le défenseur Manuel Amoros tirer un penalty. Après tout, non seulement il était arrière droit mais il portait le numéro 2 sur son maillot, exactement comme António Veloso, le joueur de Benfica qui, deux ans plus tôt, avait également raté un tir au but en finale de la Coupe des Clubs champions. Benfica s’était finalement incliné contre le PSV Eindhoven.

Jusqu’en 1996, Barbosa place Ricardo Rocha, Zeferino, Tinaia, Agostinho et Secretario au Real Madrid, Rui Costa à la Fiorentina, transfert qui, selon lui, a “sauvé Benfica de la faillite”, Raí au PSG, Paulo Bento à Oviedo, Toni et Jesualdo en tant que coach à Bordeaux et Carlos Alberto Parreira, un ami de longue date, à Valence puis à Fenerbahçe. Raí avait d’ailleurs reconnu qu’il « devait tout à Manuel Barbosa pour avoir réalisé son rêve de venir jouer en Europe ». Le joueur brésilien avait été transféré de São Paulo au Paris Saint-Germain en 1993.

Rui Costa aux côtés de son agent, Manuel Barbosa

De l’équipe brésilienne qui a remporté la Coupe du monde en 1994, en plus de l’entraîneur, il représente Márcio Santos, Aldair, Ricardo Rocha, Mazinho, Branco et Zinho. Il était également l’homme d’affaires qui a représenté le plus grand nombre de joueurs de l’équipe nationale brésilienne lors de la Coupe du monde 1990, tous jouant pour des clubs portugais. Au milieu des années 90, il est à son l’apogée. Il a une clientèle qui atteint un pic de 140 joueurs.

Attaché à ses joueurs comme à son apparence physique, il se rend très souvent chez son coiffeur de Brasilia, à Marquês de Pombal. Une fois, lors d’une journée bien remplie, un employé a oublié de laver ses lunettes et a dépensé les milliers d’escudos que Barbosa lui avait gracieusement donnés. Le lendemain, il s’est excusé et Manuel l’a finalement laissé avec son énorme bonus. Là-bas, tout le monde se souvient de lui avec tendresse. Il était là avec Mozer, Valdo et Raí et, chaque fois qu’il faisait une grosse affaire, il était certain que la générosité devait suivre. Si Barbosa récupère une commission de 5% lorsque Benfica vend un joueur qu’il représente, à l’étranger, il réclame désormais 15% dès qu’une acquisition est faite par son entregent.

Manuel Barbosa, Valdo et Jorge de Brito

Les dessous des transferts de l’OM

« Je suis bon, je suis le meilleur, je suis le monopoliste des joueurs brésiliens en Europe», déclare Manuel Ferreira Barbosa, l’un des meilleurs agents de l’époque. «Vous êtes bon, mais vous êtes cher», ajoute aussitôt le président Richarté. Alors que ses collègues touchent en moyenne 5% de commissions sur les transferts de joueurs dont ils s’occupent, Manuel Barbosa demande, lui, 10%. En 1989, pour faire venir le joueur brésilien du Benfica de Lisbonne Carlos Mozer sur le Vieux Port, il a même exigé de l’OM une commission de 15%, soit 4,2 millions, la plus grosse enveloppe jamais lâchée à un intermédiaire par le club phocéen à l’époque. L’histoire de ce transfert relativement banal est exemplaire de «la gymnastique, de l’acrobatie comptable permanente» en vigueur dans les grands clubs professionnels. Mais aussi du flou entretenu autour de leurs opérations financières. Manuel Barbosa, qui, agissant directement ou par l’intermédiaire de sa société, avait reçu de l’Olympique de Marseille, outre la somme de 1 850 000 F sur le transfert de Mozer, entre septembre 1989 et mars 1990, une somme totale de 1 774 000 F payées pour partie par chèques ou virements selon Le Monde. Le Marseillais Bernard Tapie lui avance même d’emblée la somme de 700 000 francs pour lui chercher des renforts. La somme en question lui avait également été remise en espèces et enregistrée par une facture intitulée «Avances sur frais d’honoraires en vue de transferts pour la saison 1990-1991». Et, en récompense du transfert de Mozer, il a droit à une BMW 850 qu’il gardera symboliquement toute sa vie. Officiellement, l’OM a versé 25,5 millions de francs au Benfica et a engagé Mozer à un salaire mensuel de 160 000 francs. Une rémunération presque ridicule eu égard à la valeur marchande et sportive du joueur à cette époque, et donc volontairement minorée afin «d’économiser» les charges pesant sur les deux parties. Mais, sur les 25,5 millions encaissés par le Benfica, le Brésilien, lui, prélevait 6 millions. «On aurait pu aussi lui faire un prêt fictif», admet benoîtement Jean-Pierre Bernès, l’ancien directeur général de l’OM à Libération. Jusque-là personne ne proteste. Bernard Tapie a fermement fixé le consensus minimum sur lequel tout le monde peut se retrouver: les joueurs, selon lui, exercent un chantage sur les clubs de foot et apportent des montages financiers leur épargnant impôts et frais fixes. Seulement, sur la question plus délicate des 4,2 millions consentis à Manuel Barbosa, c’est à chacun sa vérité. Pour Bernès, «la comm’ était de 2 millions, pas plus. Le reste, eh bien, ce sont des sorties de fonds sans justification.» Tapie joue les incrédules: «Une comm’ de 4 millions, mais c’est surréaliste, je ne comprends pas.» Barbosa, lui, s’énerve devant l’oubli ou la mauvaise foi qu’il dit déceler chez ses anciens partenaires. «Bien sûr que c’était 4 millions. Bernès ne dit pas la vérité.» Le président Richarté a sa petite idée sur cette supercommission: «Vous n’en auriez pas réversé une partie à certains dirigeants de l’OM ?» Tapie a le nez en l’air, Bernès regarde ses chaussures et Barbosa est franchement offusqué. «Jamais de la vie, c’est une offense.»

Si le cas Mozer a suscité de nombreuses interrogations, ce sont les 2,5 millions de francs perçus par Barbosa pour renoncer à un droit de préemption sur le Brésilien Bebeto qui éveillent le plus les soupçons en France et le conduisent sur le banc des accusés en 1997. Dans un procès historique, Tapie comparait aux côtés de 20 prévenus, dont 11 sont des agents de joueurs. Manuel Barbosa est condamné en première instance à un an de prison avec sursis mais remporte ensuite l’appel et finit par être innocenté.

Manuel Barbosa (D) agent sportif portugais soupconne d’avoir percu d’importantes sommes lors des transferts de footballeurs adresse un geste a ami avant de penetrer avec Ljubomir Barin (G) dans la salle d’audience du palais de justice de Marseille le 12 mai ou débute le proces des comptes de l’Olympique de Marseille dans lequel Bernard Tapie et 19 autres personnes sont accusés d’avoir participé à des détournements de fonds.

Un autre épisode malheureux survient en 2001 lorsque Barbosa est une nouvelle fois en négociation avec l’OM. Il illustre le climat malsain entourant le club phocéen. A cette époque, au retour d’un voyage de prospection en Amérique du Sud, avec mandat du club, il s’installe au Sofitel Vieux Port. Dans sa besace, plusieurs joueurs dont le Brésilien Fernandao pour lequel il possède des droits courant jusqu’à la fin du mois. Au téléphone, Tapie fait traîner le moment de la négociation. Et puis un soir, à l’hôtel, Barbosa se retrouve entouré de «costauds». «Il y a eu, disons, une forme de pression très forte, ils voulaient m’impressionner. Pas des menaces directes mais voilées. Le message était clair, je devais me tenir à carreau.» L’agent se réfugie dans sa chambre et prend contact avec son avocat. Quelques jours plus tard, il repart à Madrid. Sans aucun contrat. Barbosa n’a pas identifié les gros bras et n’a aucune preuve sur l’éventuel commanditaire de l’expédition. Cependant, les noms des agents Jean-Luc Baresi et Gilbert Sau, qui font la pluie et le beau temps à l’OM au début des années 2000, se dégagent mais sans preuve formelle. Il a une seule certitude: «Finalement, ils m’ont piqué tous les joueurs. Je ne retravaillerais plus jamais avec l’OM, du moins tant que Tapie et ses copains y seront».

Les transferts suspects avec Alain Afflelou et les Girondins de Bordeaux

Au-delà de l’affaire des comptes de l’OM, le nom de Manuel Barbosa figure également dans celle du lunetier Alain Afflelou, ancien président du club de football des Girondins de Bordeaux (de 1991 à 1996). En juillet 1998, au lendemain du sacre des Bleus au Mondial, Alain Afflelou a été placé en garde à vue par le juge d’instruction parisien Laurence Viechnievky sur les opérations douteuses d’une coopérative financière italienne, le Fondo Sociale di Cooperazione Europea. L’industriel a été interrogé sur des montages réalisés, via cet établissement, pour ses activités à la tête du club et pour d’importantes dépenses personnelles. Alain Afflelou était entré en relation avec la coopérative italienne par l’entremise d’un des responsables du Fondo, Ahmed Charly Chaker. Cet homme d’affaires de nationalité française, au parcours sulfureux, a été le président du Football Club de Brest Armorique au moment de sa mise en liquidation judiciaire. A cette époque (en 1992), le club bordelais était au bord du dépôt de bilan, à la sortie de la présidence de Claude Bez (un passif de 327 millions de francs), et avait les plus grandes peines à obtenir des soutiens du côté des banques françaises. Son successeur, Alain Afflelou, s’était démené pour assainir la situation, en créant notamment une SAOS (société anonyme à objet sportif) pour gérer l’équipe professionnelle.  En 1993, Alain Afflelou aurait investi 40 millions de francs auprès de cet établissement bancaire italien par l´intermédiaire de Charly Chaker, qui se présentait comme l´un de ses responsables. Le placement devait, explique Afflelou, lui rapporter de confortables intérêts : 13 % par an. Or le Fondo Sociale n´aurait jamais vu la couleur des 40 millions qui se seraient évaporés dans des paradis fiscaux. Alain Afflelou aurait, toutefois, réussi à se faire rembourser la moitié de sa mise de départ, sans en passer par des poursuites judiciaires. « Il est la victime dans cette affaire, c´est lui qui a perdu de l´argent », assure son entourage. L´opération, complexe, évoque une affaire de blanchiment. Selon l´enquête confiée à l´Office central de répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), le dépôt de fonds d´Afflelou au Fondo Sociale s´est curieusement doublé d´un prêt de cet établissement au club des Girondins de Bordeaux, par l´intermédiaire de sociétés offshore.

Le célèbre lunetier s’était tourné vers l’homme d’affaires pour recruter des joueurs de classe internationale. Et le club bordelais avait pris contact avec le sulfureux et incontournable intermédiaire portugais pour les transferts de footballeurs sud-américains vers l’Europe, Manuel Barbosa. D’un montant supérieur à 20 millions, les sommes correspondant à l’achat de deux joueurs brésiliens (Marcio Santos et Valdeir) ont transité par les comptes du Fondo, au gré d’un parcours compliqué, via la société IOA de Manuel Barbosa à Madère (île spécialisée dans l’accueil des sociétés offshore). Le fameux intermédiaire portugais Manuel Barbosa (condamné dans l´affaire des comptes de l´OM) aurait touché des commissions sur le transfert des deux joueurs. C’est en vue d’apprécier le versement de commissions litigieuses que l’Office central de répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) avait effectué une perquisition au siège des Girondins. Alain Afflelou s´était vu interroger sur ses relations avec Charly Chaker et Manuel Barbosa, tous deux dans le collimateur de la justice. Quand il était président des Girondins de Bordeaux, le lunettier aurait bénéficié de leur aide pour acheter des joueurs sud-américains.

L’enquête judiciaire sur les transferts suspects du PSG   

En 2004, la justice française décide d’ouvrir une enquête sur les transferts de joueurs opérés par le Paris Saint-Germain entre 1998 et 2003. Les anciens dirigeants du club, qui estiment être responsables mais pas coupables, sont interrogés par les juges Renaud Van Ruymbeke et Françoise Desset. Les responsables du club parisien ont évoqué devant les juges les conditions douteuses dans lesquelles un certain nombre de négociations ont été menées pour recruter ou vendre des joueurs : délégations de pouvoir, interventions des entraîneurs, agents à la réputation sulfureuse. Charles Biétry, président de mai à décembre 1998, Laurent Perpère, qui lui a succédé jusqu’en juin 2003, et Pierre Lescure, dirigeant entre 1994 et 2002 de Canal plus (propriétaire du PSG), tous questionnés en qualité de témoins assistés, ont dû s’expliquer sur les commissions versées aux agents de joueurs, objets des soupçons des enquêteurs. Une demi-douzaine de ces agents ont été visés par une série de perquisitions (Le Monde du 10 mars). Interrogé le 7 mars 2005, M. Biétry a indiqué qu’en tant que président, il n’était pas en contact directement avec les agents. “Le directeur financier, Pierre Frelot, négociait et me soumettait ses propositions. J’en référais à Pierre Lescure”, a-t-il indiqué.

Evoquant l’entraîneur Artur Jorge, M. Biétry s’est souvenu que le technicien portugais “voulait faire revenir le joueur brésilien Valdo”. “J’ai refusé car je ne voulais pas avoir affaire à son agent Manuel Barbosa qui avait été condamné à Marseille, a-t-il précisé. Artur Jorge m’a également présenté un autre agent, D’Onofrio. Il a la même réputation que Barbosa et je n’ai pas voulu donner suite à l’entrevue que j’ai eue avec lui et Artur Jorge. (…) Le seul transfert, de mémoire, qui s’est fait avec Artur Jorge durant ma présidence, concerne le joueur portugais Helder. L’environnement du transfert m’est apparu douteux.”

Perpère a été longuement questionné sur les dessous du transfert de Christian. L’enquête a établi que, pour recruter ce joueur brésilien, le PSG avait versé en 1999, 11,2 millions de dollars à Manuel Barbosa avant de s’apercevoir qu’il ne s’agissait pas du bon intermédiaire selon Le Monde. Concernant l’agent portugais, M. Perpère a indiqué : “J’ai demandé son avis à Denisot qui m’a dit qu’il avait toujours eu de bonnes relations avec lui et qu’on pouvait lui faire confiance. Moi et Frelot avons donc signé des documents avec Barbosa. Quant aux virements, ce n’est pas moi qui les ai effectués, c’est le domaine de Frelot.” “Dans l’opération de transfert Christian, la situation était très confuse, j’ai eu le sentiment qu’à tout le moins, Barbosa en a tiré avantage, voire même nous a roulés“, a conclu M. Perpère. Au final, l’agent portugais ne sera pas inquiété dans cette affaire.

Lors de son audition, Pierre Lescure, l’ancien président de Canal plus – par ailleurs membre du conseil de surveillance du Monde -, a dû s’expliquer sur le transfert de Christian. Il a affirmé : “J’ai été alerté par Perpère de la difficulté mais il avait délégation pour la régler. Je n’en sais pas plus.Toute position de monopole crée des situations pernicieuses, a ajouté M. Lescure à propos de Manuel Barbosa. La qualité extraordinaire des premières acquisitions de joueurs faites par son intermédiaire (Raï, Valdo et Ricardo) a sans doute trop plaidé en sa faveur ». Manuel Barbosa aurait même pu être impliqué dans la venue de Ronaldinho au PSG s’il n’avait pas perdu la main sur le joueur après un transfert non conclus au Havre, faute d’essais concluants (Mon parcours en ciel et marine, Alain Belsoeur, 2022)

Christian, joueur du PSG entre 1999 et 2001

Néanmoins, selon Le Parisien, les magouilles du PSG n’avaient qu’un seul but : économiser les charges sociales et fiscales. Sous la présidence de Michel Denisot, Rai a bénéficié de ce système. Pour rappel, le capitaine de la Seleçao de l’époque, a été acheté en 1993 au FC Sao Paolo pour 2.6 millions d’euros via la société Mercury, qui appartient à Barbosa, l’agent de Rai. En réalité, seulement 1.985 millions d’euros iront au club brésilien. Rai percevra 340 842€ par Barbosa en guise de « salaires déguisés ». L’international brésilien touchera aussi à la fin de son bail au PSG 555 720€ via l’organisation au Parc de Princes, à l’été 1998, d’un festival brésilien retransmis par TV Globo.

L’effondrement de l’empire de Manuel Barbosa

En 1993, Manuel Barbosa figure parmi les 11 noms inscrits sur la première liste des agents accrédités par la FIFA avec son éternel partenaire Jorge Gama. Barbosa « a créé un métier », selon Jorge Manuel Mendes. « C’était mon idole. C’est comme les Portugais qui ont bravé la mer : au début, personne ne savait ce qu’il y avait de l’autre côté. Et il a ouvert des portes à tant de personnes qu’il y a aujourd’hui cinq ou six mille agents dans le monde » déclare Simao Sabrosa. Toutefois, à l’été 1994, l’entrepreneur portugais a vu son empire s’effilocher avec l’arrivée de la nouvelle génération d’agents dirigée par José Veiga (Superfoot) puis Jorge Mendes (Gestifute). Indirectement, Mendes est un élément clé de la transition de l’ère Manuel Barbosa à l’ère José Veiga, en termes de domination dans l’environnement concurrentiel des agents de joueurs. Lorsque Veiga détourne Simão de Mendes et l’emmène à Barcelone, en 1999, ce qui provoque la révolte de tous les agents, Manuel Barbosa n’a plus l’éclat des années précédentes et le rival en profite pour monter au perchoir. À la fin des années 1990, l’homme d’affaires a quitté la scène. “Je suis resté immobile pendant si longtemps parce que j’ai ma dignité. A cette époque, José Veiga s’en prend à Jorge Manuel Mendes et emmène Simão Sabrosa à Barcelone [1999]… Je ne pouvais plus continuer”, expliquait-il dans une interview en 2007, dans laquelle il annonçait son retour aux affaires, mais sans la notoriété dont il avait bénéficié par le passé. L’implication du natif de Braga dans l’affaire Tapie l’avait écorné et certains transferts avortés, comme Marcelo et Paredão à Benfica, ont également ébranlé son statut. Parmi les derniers joueurs qu’il a représentés figuraient Agostinho, Maniche, Maurício Pochettino et Tinaia. Toutefois, les proches de l’agent stipulent que la perte de sa suprématie était plutôt dûe à un changement de priorités.  Au lieu de représenter les joueurs, son esprit était tourné vers un projet immobilier auquel il avait pensé dans les années où il organisait des stages. Il y a hypothéqué beaucoup d’argent et au fil du temps, il a perdu sa capacité financière. La fatigue des années sans vacances à s’occuper des affaires des joueurs aura également pesée. L’une des dernières batailles qui l’ont bouleversé a été le procès en diffamation intenté et remporté par Vale e Azevedo, dont la condamnation, en 2001, l’a contraint à verser une indemnité de cinq mille euros à l’ancien président de Benfica.

C’est à cette époque qu’il a redirigé toute sa vie vers Braga. Grâce à un prêt bancaire, il a acheté Quinta de Jós, à côté de la rivière Cávado, dans le but de transformer l’espace en un site touristique et sportif capable d’accueillir les stages des équipes de football. Comme au bon vieux temps. Depuis les années 80, il a mûri l’idée et il mise tout son argent sur un projet comprenant un golf, trois terrains de football, 63 villas et deux hôtels. « L’erreur de mon père a été d’abandonner le football pour se consacrer exclusivement à son complexe », affirme Rui Barbosa, pour qui la perte de visibilité a aidé la banque à fermer le robinet du financement. Ceux qui côtoient Manuel Barbosa pointent avant tout un défaut : son incapacité à déléguer les tâches. C’était comme ça chez Mercury, dans le football et aussi dans son nouveau défi, comme en témoigne son fils. « Il voulait déjà être architecte et tout. Il indiquait à quoi devait ressembler le développement et les architectes n’avaient qu’à le dessiner. Il pensait qu’il pouvait être un expert en tout ». Ce qui pourrait ressembler à une critique n’est rien de plus qu’un constat. Et surtout, au-delà de mettre en péril sa stabilité financière, le père commençait à y perdre la vie. « Si nous avons des dettes, nous ne pouvons pas dormir. Si quelqu’un dit qu’il va rendre l’argent et ne le fait pas, la personne devient anxieuse, elle ne mange pas. Et c’était des années de ça ».

Mercury non plus, n’a pas survécu à se divorce entre Barbosa et le football. L’intermédiaire portugais avait l’habitude d’injecter de l’argent provenant de transferts ou stages chaque fois qu’il y avait des besoins en espèces mais il ne pouvait plus se le permettre. Le déficit financier était identifié depuis longtemps mais l’homme d’affaires est toujours resté fidèle au principe de payer les salariés avant tout. Au final, il sera obligé de mettre la clef sous le paillasson. En 2007, la possibilité de faire son retour dans le football se présente. Noyé sous les dettes, le dirigeant du modeste club portugais de l’Atlético de Valdevez fait appel à Manuel Barbosa pour redresser l’équipe. « Mon père avait cette chose incroyable. Il était là à Quinta de Jós sans pouvoir faire avancer le projet. Parfois, il n’avait même pas d’argent pour manger – je ne veux pas dire au sens littéral mais dans le sens de ne pas avoir à donner -, mais si quelqu’un lui est apparu en difficulté c’était tout de suite : ‘je résous’ ». Il est resté deux saisons au club de seconde division avant de démissionner. Il a également été contraint de se débarrasser de la prunelle de ses yeux, Quinta de Jós. Mais le dernier coup dur, le pire de tous, sera ce cancer de l’estomac. Comme toujours, il refuse de se rendre. Dès qu’il a récupéré des séances de chimiothérapie, il a demandé à son fils de l’emmener à Santa Apolónia et a pris le train pour voir ses amis à Braga. Avec les encouragements de ses petits-enfants, il fait un effort pour se nourrir. Et plusieurs fois, il parle de récupérer Quinta de Jós alors que son fils insiste sur la priorité de vaincre la maladie. “Non, Rui, calme-toi, calme-toi”. Ne jamais baisser les bras, tel est l’héritage laissé à sa famille par cet homme qui aimait dire “no sticks” et porter des cravates aux couleurs les plus variées, dans un style indéniable qui a dérangé sa fille jusqu’au jour où son père lui a dit : ” J’ai créé ce personnage, laissez-moi le vivre”. Car à chaque fois qu’il a eu les poches vides avant de devenir riche dans le football, Manuel Barbosa est sorti de nulle part. “Tu vois, Rui, avec mille escudos je peux faire une révolution” – disait-il à son fils.

Manuel Barbosa quelques années avant sa disparition.

Malheureusement, en mars 2014, il succombe à son cancer. Ses funérailles auront lieu le lendemain, à Aveleda, à Braga, sa ville natale. Dans une interview accordée à Record, il avait partagé sa philosophie : “Je veux vivre heureux avec peu et pas malheureux avec trop”. C’est ainsi qu’il est mort, “content de peu”, le premier homme au Portugal à avoir fait fortune en tant que représentant des footballeurs.