Doyen Sports, au coeur des nouvelles révélations de Football Leaks, vendredi, s’est fait une spécialité de la tierce propriété ou TPO, un système interdit par la Fifa en 2015 mais détourné qui permet de spéculer sur des «parts» de joueurs. Explications.
La TPO, c’est quoi ?
Interdite par la Fifa en mai 2015 mais encore bien en place sous d’autres formes, la tierce propriété ou TPO («third-party ownership») désigne la vente par un club d’une partie des droits économiques d’un joueur à un tiers. Celui-ci peut être une personne physique ou une personne morale, comme un fonds d’investissement, à l’image de XXIII Capital, Fair Play Capital ou Doyen Sports, le plus connu d’entre eux.
Soit le club vend à ce tiers des “parts” de ses joueurs pour combler un déficit d’exploitation (TPO de trésorerie), soit il fait appel à lui pour acheter un joueur qu’il n’a pas les moyens d’acheter seul, en éhange d’un pourcentage sur les droits économiques dudit joueur (TPO d’investissement). Dans les deux cas, la “tierce partie” se rémunère sur la plus-value réalisée lors de l’éventuel futur transfert du joueur, à hauteur du pourcentage des droits qu’elle possède.
La TPO, ça rapporte combien ?
Le cas d’Alexandre Pato, cité dans une communication de la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, en juin dernier, est un exemple (extrême) de la rentabilité potentielle de la TPO : en 2005, alors que l’attaquant brésilien évoluait à Porto Alegre, un tiers avait acheté 50% de ses droits économiques contre 200 000 € ; lors de la vente du joueur à l’AC Milan en 2007 pour 28 M€, il en a récupéré la moitié, 14 M€, soit une culbute de… 6800% en deux ans. Plus récemment, en 2014, Doyen Sports, qui posséde 33% des droits économiques d’Eliaquim Mangala depuis 2011, a touché 18M€ sur les 54M€ du transfert du défenseur international français du FC Porto à Manchester City.
A l’inverse, si le joueur ne confirme pas et n’est pas transféré, le tiers peut-il perdre sa mise ? Logiquement oui, mais les documents déjà révélés par Football Leaks en octobre 2015 montrent qu’un fonds comme Doyen Sports s’entoure d’autres garanties auprès du club et qu’une mauvaise surprise paraît très improbable. Le marché de la TPO s’est d’ailleurs envolé. Selon le Centre de droit et d’économie du sport (CDES) de Limoges qui a enquêté pour la Fifa, il a représenté en 2013 la coquette somme de 544 M$ (523 M€). Cette même année, une “tierce partie” est intervenue dans 10% des transferts internationaux.
Pourquoi la TPO est-t-elle interdite ?
Pour deux raisons surtout. Les détracteurs de la TPO – dont le syndicat international des footballeurs – critiquent l’atteinte aux libertés fondamentales du joueur qui ne maîtrise plus entièrement la gestion de sa carrière. La politique sportive du club risque aussi de dépendre du bon vouloir de la “tierce partie” puisque l’intérêt de celle-ci est que les joueurs concernés soient transférés le plus souvent possible, pour un montant toujours plus important.
Alors que la pratique de la TPO, courante en Amérique du Sud, s’était installée progressivement en Europe dans les années 2000, d’abord au Portugal puis en Espagne, et surtout après la crise financière de 2008 qui avait privé les clubs de solutions de financement, la Fifa a d’abord tenté de limiter «l’influence de tiers» sur les clubs dans un premier texte, avant de l’interdire formellement en décembre 2014, à compter du 1er mai 2015. A l’époque, la TPO était déjà proscrite dans certains pays comme le Royaume-Uni ou la France. En théorie.
Jamais de TPO en France, vraiment ?
Selon un document interne de la Ligue rédigé en avril 2015 – juste avant l’entrée en vigueur de l’interdiction – et cité en septembre suivant par le Journal du Dimanche, près de la moitié des clubs français (47%) avaient déjà «rencontré» à cette époque des joueurs en TPO, le plus souvent d’Amérique du Sud. Au point de les enrôler ? «Il existe d’énormes doutes» confiait à l’hebdomadaire Bernard Caïazzo, président de Saint-Etienne et du syndicat Première Ligue.
Le nouvel article 18 ter du Règlement Fifa qui interdit le TPO.
Que s’est-il passé après l’interdiction de la TPO ?
La Fifa a distribué des amendes à certains clubs (pas les plus gros) en contravention avec le nouvel article 18 ter de son Réglement du statut et du transfert du joueur. Le Séville FC, Santos au Brésil, Saint-Trond en Belgique ou encore Twente aux Pays-Bas en ont fait les frais. Pour autant, les partisans de la TPO n’ont pas désarmé. Doyen Sports, en première ligne, mais aussi la Ligue espagnole et la Ligue portugaise, ont multiplié les recours, au nom de la libre entreprise et de la libre concurrence, devant la justice de plusieurs pays et la Commission européenne. Non sans succès parfois : en décembre 2015, le TAS a donné raison à Doyen dans une procédure engagée contre le Sporting Portugal dont le nouveau président ne voulait pas payer de plus-value au fonds sur le transfert en 2014 du défenseur argentin Marcos Rojo à Manchester United.
Qu’est-ce que le… TPI qui a pris la place de la TPO ?
Le TPI ou «third party investment» est une parade à la fin de la TPO et plus largement un dispositif défendu par ceux qui veulent disposer de nouveaux leviers économiques pour résister aux grandes fortunes du football. «Je ne suis pas pour la tierce propriété, mais je suis ouvert au TPI», disait par exemple Vincent Labrune, ex-président de l’OM, à l’AFP en février 2016.
Concrètement, le TPI, pas plus permis en France que ne l’était la TPO, n’autorise plus un tiers à devenir propriétaire des droits économiques des joueurs, mais il peut agir comme un banquier permettant au club de se financer ou de financer l’acquisition de joueurs. Dans ce cas, le remboursement des prêts est déconnecté d’une éventuelle plus-value à la revente des joueurs. Le tiers se rémunère via des intérêts attractifs ou un pourcentage sur les actifs des clubs.
«Une “nouvelle” forme qui ressemble malgré tout comme deux gouttes d’eau au TPO d’investissement», observe dans France Football Christophe Lepetit, chargé d’études au CDES. Et de pointer des «dérives potentielles pas si éloignées que cela de celles de la TPO» : dépendance des clubs aux “tierces parties”, perte de contrôle des clubs sur les transferts et des joueurs sur leur carrière, sans oublier l’opacité quant à la provenance des fonds injectés dans les clubs. Ce que les révélations de Football Leaks sur Doyen ont confirmé vendredi.
Source : L’Equipe