L’idéal, pour un agent, c’est d’être le plus proche possible d’un club, celui par qui tous les transferts passent. Un peu la situation de Bayram Tutumlu au FC Swansea quand le club de Premier League anglaise avait pour manager le légendaire Michael Laudrup, élu meilleur joueur de l’histoire du football danois. On a même suspecté en 2013 que Tutumlu contrôlait la politique de transfert de Swansea. Il a en tout cas abusé d’un énorme conflit d’intérêts. Il se trouve que Tutumlu était l’agent de l’entraîneur Laudrup. En parallèle, il a reçu en sous-main des millions de commissions occultes que lui reversaient d’autres agents lorsqu’ils transféraient des joueurs à Swansea.
Le club n’était pas au courant des accords secrets entre Tutumlu et les autres agents. Ce qui est formellement interdit par la FIFA, dont les règles de transparence stipulent que la participation d’agents à toute négociation soit connue. Pas de quoi effrayer Bayram Tutumlu, personnage haut en couleur : cet Espagnol né en Turquie a d’abord vendu des voitures de luxe aux joueurs de Barcelone, avant de devenir agent en se proclamant ami des plus grands, de Diego Maradona à José Mourinho en passant par Pep Guardiola.
Les documents Football Leaks ont permis d’étayer la magouille. Tutumlu détenait des intérêts financiers dans au moins sept transferts effectués par le club gallois. En 2013, par exemple, Tutumlu avait négocié avec l’agent du joueur espagnol José Cañas une clause lui assurant 1,466 million d’euros en cas de transfert. Pour son plus grand bonheur, Cañas a été acheté par Swansea.
Dans d’autres cas, Tutumlu a réussi à récupérer les deux tiers de la commission d’agent. Il avait notamment signé un « accord de collaboration » avec l’agent du défenseur Ben Davies, le 4 septembre 2013, lui assurant 67 % des commissions de cet agent. Peu de temps après, Davies prolongeait son contrat au club – avec une commission à la clé.
Selon les calculs basés sur les Football Leaks effectués par le journal danois Politiken, membre de l’EIC, ces deals secrets ont permis à Bayram Tutumlu de toucher 4,3 millions d’euros de Swansea pendant les dix-neuf mois du mandat de Laudrup. Cette somme représente quatre fois ce que le club lui payait comme agent du manager. Car il touchait aussi de l’argent de ce côté-là : 10 % du salaire du Danois, officiellement cette fois.
Michael Laudrup a-t-il acheté en priorité les joueurs contrôlés en sous-main par son agent ? Interrogé par l’EIC, Tutumlu dément : « Je n’ai jamais partagé avec lui les bénéfices résultant de mon activité professionnelle. De plus, je n’ai jamais été impliqué avec lui dans la représentation d’un joueur ou d’un club. » Bref, « je n’ai jamais donné d’argent ou d’autres avantages à Michael Laudrup ». L’intéressé, désormais entraîneur de Al Rayyan (Qatar), est tout aussi catégorique : « Je veux indiquer clairement que je n’ai JAMAIS reçu un seul centime en relation avec le transfert d’un joueur. »
Un porte-parole de Swansea avait assuré à l’EIC que tous les transferts intervenus sous l’ère Laudrup « ont été discutés en toute transparence et réalisés de façon normale ». Cela n’a pas empêché le club de Premier League de virer l’ancienne star danoise en février 2014 en exprimant ses soupçons : « Le club suspecte que si BT [Bayram Tutumlu] n’était pas impliqué dans le transfert d’un joueur, ML [Michael Laudrup] ne voulait pas qu’il rejoigne le club », écrivait un responsable du FC Swansea dans une lettre à la League Managers Association, le syndicat de Laudrup. Swansea enquêtait à l’époque pour déterminer si certains transferts avaient été réalisés « aux dépens du club », et affirmait que, dans plusieurs cas, Tutumlu « essayait de profiter matériellement des transactions ».
Mais Swansea a finalement laissé tomber, faute de preuves. Malgré les millions évaporés, le club a signé un arrangement en mai 2014 avec Laudrup, qui a touché une indemnité de départ de 1,55 million de livres net d’impôts, alors que son agent recevait 340 000 livres, le tout avec une clause de confidentialité qui les empêche d’en parler.
Swansea a donc fait preuve jusqu’au bout de générosité, comme le montre ce petit mot envoyé à Tutumlu par le président du club, Huw Jenkins, le 6 mars 2013. À l’époque, Laudrup venait de prolonger son contrat, et son agent, resté fidèle depuis qu’il lui avait permis, en tant que joueur, de passer en 1994 du FC Barcelone au Real Madrid, n’était pas oublié : si le Danois était transféré pour 10 millions de livres, son agent toucherait 30 % de la somme (20 % si le transfert se situait entre 5 et 10 millions de livres). Tutumlu recevait aussi 7,5 % du bénéfice réalisé sur tout transfert des joueurs de Swansea, qu’il y soit impliqué ou pas – ce qui démontre bien qu’il contrôlait de fait la politique du club. Et bien sûr, les 10 % sur les salaires brut de Laudrup et de ses trois adjoints.
Petite morale de cette histoire : un agent, ça doit savoir négocier pour ses joueurs, mais surtout pour lui-même. Même si, il y a dix ans, Tutumlu proclamait le contraire dans un journal danois, Jyllands-Posten : « Je ne fais pas ça pour l’argent. J’ai déjà plus d’argent que je ne pourrais dépenser. Je le fais pour aider les gens que j’aime. » C’est ainsi que, par amour, il a permis à son ami Laudrup de signer peu après son départ de Swansea avec le club qatari de Lehwiya. Et devinez le premier geste du Danois ? Acheter un joueur de Swansea, Chico Flores, sur lequel Tutumlu s’était fait une commission secrète lors de son recrutement par le club gallois.
Source : Football Leaks via Mediapart